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  • camillehaddad

Le festival cinéma Télérama: une excellente occasion de revoir les plus grands films 2019

Si, pour ma part, l'année écoulée a été riche en coups de cœurs cinématographiques, de Nevada de Laure de Clermont-Tonnerre à Yuli d’Iciar Bollain, sans oublier Une vie cachée de Terrence Malick, je n’ai malheureusement pas eu le temps (ou su saisir l’occasion) d’assister à toutes les projections qui me faisaient de l’œil. Sortant, la semaine passée, d’une salle obscure où l’on donnait encore le très glacé (et glaçant) film de Diao Yi’nan, Le lac aux oies sauvages, j’ai mis la main sur un dépliant vantant le festival cinéma organisé par Télérama. Le principe en est simple : il suffit d’acheter un numéro du magazine, d’y découper un laisser-passer à présenter à la caisse des établissements partenaires pour bénéficier d’un tarif à 3.50 €, valable pour deux personnes. Profitant de l’occasion, j’ai assisté à quatre séances cette semaine. Retour critique.


Parasite de Bong Joon-Ho, une Palme d’or déjà culte


J’ai déjà eu l’occasion de voir ce film lors de sa sortie au mois de juin 2019, mais ai été bien incapable de résister à un second visionnage, lequel ne s’est pas avéré moins intéressant que le premier. La Palme d’or de cette année est un formidable thriller sociopolitique à la beauté clinique et à la photographie impeccable. Difficile de mettre en doute les qualités formelles d’une œuvre qui allie aussi bien un éclairage subtile qu’une bande originale imparable.



Le scénario, quant à lui, est une pure merveille de rebondissements qui m’a laissée pantoise quant à la critique des inégalités socio-économiques qu’il propose. Dans une Corée contemporaine, extraordinairement occidentalisée, une famille de déclassés parvient, à grand renfort de ruses en tous genres, à s’immiscer dans la villa de nantis au service desquels ils se placent comme gens de maison. Impossible, cependant, de révéler leur origine sociale ou leurs liens de parenté. Avec le temps, ils prennent leurs aises jusqu’à découvrir –au sous-sol- un habitant ignoré de tous, l’époux d’une précédente femme de chambre réduit à vivre reclus dans les bas-fonds de Séoul pour échapper à ses créanciers. Une guerre de la misère –qui n’est rien moins qu’un affrontement pour la survie- finit par opposer les deux clans de laissés-pour-compte. Elle se double d’une détestation et d’un sentiment d’illégitimité sans cesse croissants vis—à-vis de leurs maîtres chez les «parasites» dont l’entresol a été anéanti par de fortes pluies. Le tout s’achève dans un bain de sang, une lutte des classes qui semble ne jamais devoir (ou pouvoir) s’achever.


Le glorieux Traitre de Marco Bellocchio


L’intrigue ne se raconte pas, l’histoire est trop connue pour qu’il soit utile d’en faire un long exposé. Le spectateur déambule dans une vaste fresque étalée sur une vingtaine d’années, retraçant les évolutions d’une mafia sicilienne en plein déclin. Elle fait surtout l’apologie de Tommaso Buscetta (interprété par un Pierfrancesco Favino jouant avec une aisance et une justesse quasi-divines), parrain repenti d’une Cosa Nostra dont il estime qu’elle a cessé d’être fidèle à ses valeurs originelles en se lançant à corps perdu dans le trafic d’héroïne.


Là encore, les qualités esthétiques du film sont indéniables. La bande originale orchestrée par Nicolas Piovani, lequel s’associe pour la huitième fois à Bellochio (depuis la fameuse bataille de boules de neige d’Au nom du père), est d’une beauté sans nom. Elle allie opéra de Verdi, salsa cubaine reprises d’Ennio Morricone. De plus, certaines scènes confinent tout simplement au sublime tant le jeu sur les couleurs, les contrastes et la folie des hommes sont saisissants. Tel est le cas de la réunion introductive qui rassemble les caciques de la Cosa Nostra, désireux de passer un accord relatif au fleurissement du trafic de drogue, ou à ces images intemporelles qui nous plongent avec grâce dans les tortures infligées à Buscetta par les autorités brésiliennes, quelque part à bord d’un hélicoptère survolant l’Atlantique.


Je ne peux pas, cependant, m’empêcher d’émettre quelques réserves sur ce très beau film. D’une part, le juge Falcon (incarné par Fausto Russo Alesi) –qui a joué un rôle central dans la lutte antimafia est un personnage très superficiel, peu travaillé et dont le spectateur non-averti ne peut saisir la portée. D’autre part, Toto Riina –qui en son temps était très certainement le membre le plus éminent de la mafia sicilienne n’est guère présenté que comme une sorte de second couteau. Au-delà de ces questions d’exactitude historique, Bellocchio n’interroge pas suffisamment –à mon goût- la question de l’honneur et de la traîtrise. Si Buschetta ne cesse de répéter que sa trahison n’en est pas une puisque la mafia sicilienne n’a pas su demeurer fidèle à elle-même, il est rapidement passé sous silence qu’il a, lui aussi, les mains couvertes de sang et les poches pleines d’argent sale. A certains moments, c’est à se demander si l’on ne formule pas « un éloge de la balance ».


Sibel, une coproduction franco-germano-turque au doux parfum de misérabilisme bien-pensant


Je n’irais pas jusqu’à dire que le film de Cagla Zencirci et Guillaume Giovanetti est une calamité, mais il en rassemble tout de même un certain nombre de caractéristiques. L’intrigue se fonde sur ce qui a tout d’un tire-larme vu d’Occident. Une jeune fille splendide et pourtant muette depuis une fièvre contractée à l’âge de cinq ans –Sibel (interprétée par la célèbre actrice turque aux yeux bleu-vert, Damla Sönmez)- est recluse dans un silence que parvient seul à briser la langue des sifflements, et la présence d’un père aussi aimant que sévère. La jeune fille court les bois à la recherche du loup qui rôde, arpentant à grands pas les pentes escarpées et les monts rocailleux. Du fait de son handicap, il apparaît difficile de la marier, alors que sa plus jeune sœur est sur le point de se fiancer, pire encore, elle est systématiquement rejetée par les autres femmes, de toute évidence par superstition. Vous en conviendrez, chers lecteurs, cela fait beaucoup de malheur pour une si jolie fille. Comme si cela ne suffisait pas à dire que la Turquie est un pays attardé aux traditions archaïques, il faut qu’une marieuse vienne se présenter au père de Sibel (épicier et maire du village) pour le tancer : il n’est pas convenable qu’il demeure sans épouse, les mauvaises langues commencent à jaser.


Pour couronner le tout, c’est à ce moment que la belle héroïne s’éprend d’Ali, un réfractaire au service caché dans les sous-bois. Evidemment elle le soigne, évidemment ils ont une aventure, évidemment la rumeur court, évidemment elle est plus haïe que jamais et à présent traitée de putain, rejetée par ce père qui l’adorait pourtant, évidemment les fiançailles de sa sœur sont rompues, évidemment le garçon –poursuivi par des militaires de type gardes-chiourmes finit par disparaître. Franchement, à ce chapelet de clichés il ne manquait que la cerise sur le gâteau : pourquoi donc Sibel n’est-elle pas tombée enceinte d’Ali ? Les spectateurs auraient sans doute étaient ravis de voir que les avortements clandestins ou le crime d’honneur existent encore dans cet affreux pays qui semble refuser toute civilisation.


Curieusement (enfin, pas si curieusement que cela), les journaux de tous bords ont encensé le film, il paraîtrait que cette jeune muette serait le symbole de l’émancipation féminine dans un pays hautement oppressant. A méditer.


Quand Céline Sciamma fait de la peinture au cinéma : Portrait de la jeune fille en feu


Sur cette dernière séance, je suis nettement plus partagée. L’intrigue peut se résumer avec une extraordinaire concision : nous sommes au XVIIIe siècle et une peintre –Marianne (Noémie Merlant)- est engagée par la mère d’une jeune femme –Héloïse (Adèle Haenel)- sortie du couvent bénédictin pour épouser, à la place de sa défunte sœur, un Milanais. Cette dernière refuse de poser, et par la même occasion, s’érige contre ce mariage arrangé. Marianne se trouve donc dans l’obligation de la représenter de mémoire, en se faisant passer pour sa dame de compagnie. Une histoire d’amour passionnée se noue entre les deux protagonistes, mais par la force des choses, une fois le portait remis à la mère d’Héloïse, les routes des deux amantes se séparent à jamais (ou presque).


Les plans sont tous très travaillés et les images parfaitement composées. Céline Sciamma manie à la perfection les codes de la peinture des XVIIIe et XIXe siècles et les clins d’œil sont fréquents, aussi bien aux portraits d’Elisabeth Vigée Le Brun que, par exemple, au « Voyageur contemplant une mer de nuages » de Caspar David Friedrich, pour ce qui est des scènes à flanc de falaise. Qui plus est, la musique est choisie avec délicatesse, surtout le retour récurrent des Quatre saisons de Vivaldi. Les scènes d’intérieur, avec l’utilisation de l’éclairage à la bougie, et d’extérieur, par le rayonnement du feu de bois, ne sont pas sans rappeler la douceur astrale du Barry Lyndon de Kubrick.


En dépit de ces qualités, Portrait de la jeune fille en feu présente un certain nombre de failles, à commencer par le jeu –à mon humble avis- catastrophique d’Adèle Haenel qui, dans certaines scènes, à commencer par celle des présentations, sonne carrément faux. On l’a vue plus à son avantage, que ce soit dans 120 battements par minute ou Un peuple et son roi. Cette tendance est aggravée par l’incroyable lenteur à laquelle se déroule le film. Je veux bien considérer, comme Hartmut Rosa dans Aliénation et accélération (2010), que le temps semble s'être accéléré depuis trois siècles, mais tout de même, à ce stade, le film n’est plus contemplatif, il est mortifère. Enfin, je terminerais par dire que le fait de montrer un homme à l’écran qui ne soit pas un simple pagayeur ou un cocher de bas étage ne signifie pas nécessairement trahir la cause des femmes. En tout cas, ce n’est pas l’idée que je me fais de l’équité entre les sexes !

Quoi que mes critiques aient pu vous inspirer, l’événement ne se poursuivant hélas que jusqu’à demain (21 janvier 2020), je vous suggère vivement de vous plonger dans un marathon ciné ce soir.


Pour en savoir plus:


Le programme du festival Télérama:



Une critique de Sibel diamétralement opposée à la mienne parue dans La Croix :



Une compilation de critiques du film de Céline Sciamma sur France inter:



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