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La Maison d’Emma Becker, un plaidoyer pour la prostitution

BECKER Emma, La Maison, Flammarion 2019, 371p.


Paru fin août 2019, La Maison est sans doute l’un des romans de la rentrée littéraire de septembre à avoir fait le plus de bruit. En lice pour trois prix dont le Fémina et le Renaudot, il ne se voit finalement guère attribuer que le Prix des étudiants France culture-Télérama, à mon avis immérité.

De manière générale, je n’aime pas beaucoup me ruer sur les nouveautés au moment de leur publication. Il m’est agréable de prendre le temps d’écouter l’auteur parler de son œuvre, d’analyser la stratégie promotionnelle de l’éditeur, de lire les critiques des uns et des autres pour –solidement armée- me faire mon propre avis. Très intriguée par le livre d’Emma Becker depuis l’été dernier, j’ai profité d’un court séjour au fond de la campagne bressane pour m’y consacrer enfin. Sincèrement déçue du résultat.


Un plaidoyer pour la prostitution, activité de salut public


Emma Becker, jeune adulte issue d’un milieu catholique favorisé et formée en lettres à la Sorbonne, décide de se rendre à Berlin pour y expérimenter la vie au bordel. Le lecteur est d’abord intrigué par ce drôle de roman d’apprentissage, cette éventuelle volonté de l’auteur de renverser le déterminisme social auquel elle est assignée. On s’attend à plonger dans des pages quasi-soixante-huitardes sur le modèle de ces étudiants ayant abandonné le stylo au profit du travail à la chaîne, pour l’expérience, pour le réalisme et la beauté du geste. Avec délice, on repense à L’établi de Robert Linhart. Il va falloir serrer les dents.


Après avoir passé quelques temps au Manège, une maison-close sordide, essentiellement hantée par de jeunes prostituées en provenance des pays de l’Est, Emma Becker s’en va, insurgée qu’elle est contre l’absurdité des règles qui y règnent. Parce que la chance lui sourit, elle atterrit à la Maison, un havre de paix et de joyeuseté où règne une permanente ambiance de colonies de vacances. Evidemment, ses conditions de travail aux abords sympathiques, l’argent facile, la prostitution choisie plutôt que subie lui rendent la chose agréable. Elle ne peut que trouver merveilleuse cette farandole de femmes désinhibées et romantiques dont elle dresse parfois de beaux portraits.


C’est très probablement parce que l’auteur a une vision déformée de la profession, parce que –contrairement à nombre de ses collègues- elle n’est pas contrainte de vendre son corps pour survivre, qu’elle prend fermement position en faveur de la légalisation des maisons-closes, ventant sans relâche le bénéfice social de la prostitution. Ainsi, on lit « Si quelqu’un doit payer pour la pérennité de ce métier, c’est probablement la société toute entière, l’obsession de la consommation –pas les hommes ni les femmes. Les hommes et les femmes souffrent ensemble sous le même joug. Et je pense aux hommes qui n’ont pas un rond vaillant et auxquels il manque cette possibilité de vendre leur corps –qu’est-ce qu’on fait, alors ? Bien sûr il est moins dramatique de baiser contre de l’argent que de rester assis dans la rue à tendre la main. J’attends avec impatience l’imbécile qui me soutiendra le contraire. » p.254. A mon avis, des remarques de cet acabit sont absolument succulentes lorsqu’elles sont proférées par une femme qui est seule maîtresse de son sort. A-t-elle pensé une seule seconde aux esclaves sexuelles ? A celles que l’on a violées, kidnappées ? C’en est glaçant de naïveté, surtout quand on repense au très beau livre de Wassmo, Un verre de lait s’il vous plaît.


Etre travailleuse du sexe, exercer un métier comme les autres


Plus dangereux encore, Emma Becker s’emploie à démontrer que le travail de la chair n’a rien d’exceptionnel, que la prostitution est une profession en tous points comparable aux autres : « Légale en Allemagne, la prostitution obéit à une règlementation stricte –la même que celle à laquelle doivent se plier les travailleurs indépendants –Selbstständig. Ce n’est pas une profession où l’on peut se permettre n’importe quoi, qu’on soit en haut ou en bas de l’échelle. Les filles, comme la maison, se doivent de déclarer scrupuleusement leurs revenus –et même avec toute l’honnêteté du monde (aussi rare dans ce milieu que dans les autres) il est fréquent de subir les razzias du Finanzamt, capable de retourner et d’immobiliser un bordel à la recherche d’argent liquide dissimulé, de chambres non déclarées » p. 136. Certes le système allemand permet d’encadrer une profession parfois dangereuse, d’offrir une couverture sociale à celles qui l’exercent, et au passage de renflouer les caisses de l’Etat, mais il n’en demeure pas moins que cette pratique ne doit pas –à mon sens- être banalisée. Encadrer, c’est déjà cautionner.

Pour Emma Becker, la normalité du métier qu’elle exerce se traduit aussi par la localisation géographique de son lieu de travail. Rien ne lui semble plus recommandable que de placer des bordels en plein cœur des villes : « […] à peine deux cent mètres séparent le lycée du bordel, et qu’est-ce qui m’assure qu’en sortant du métro il ne s’est pas posé la question ? S’il n’y avait pas de bordel où s’échauffer en toute légalité, qui me dit qu’il n’irait pas se frotter à des filles plus jeunes, plus manipulables ? Je serais prête à parier que le seul argument capable de le retenir loin de cette école ou d’une autre, c’est l’idée d’une geôle à son nom, l’attendant déjà dans Berlin. » p. 289. Il faudrait donc rendre grâce à cette profession d’assurer, au même titre que les services de protection de l’enfance, la sécurité des écoliers ? Sincèrement, l’argument est si fallacieux que je me demande comment il peut être exposé avec tant de placidité.



Un récit mal construit, démesurément long et caractérisé par un style douteux


Il m’a rarement été donné de lire un roman aussi mal construit que ce curieux labyrinthe de chapitres se succédant sans queue ni tête. L’entrée en matière -que l’on n’ose pas qualifier d’incipit- est d’une longueur stendhalienne, le panache en moins. Il faut être téméraire pour venir à bout des cinquante à cent premières pages, toutes plus ineptes et incompréhensibles les unes que les autres. Et lorsqu’enfin on accède au cœur du sujet, on s’étonne de découvrir une farandole de personnages apparaissant au beau milieu du récit avant d’en sortir définitivement sans qu’il ait été possible d’en saisir les ressorts.


Le lecteur ne sait pas bien si l’objectif de l’écrivain est de le mener quelque part ou de l’égarer dans le magma prostitutionnel, cette deuxième option pouvant à la rigueur se targuer d’être un projet littéraire. Quoi qu’il en soit le livre est bien trop long, presque 400 pages, au regard de la faiblesse du contenu. On s’ennuie, on se lasse, La Maison nous tombe des mains entre un bâillement et une petite sieste devant la cheminée.


Pour terminer, et c’est sans doute le plus dramatique, le style est à pleurer. Les phrases semblent ne jamais devoir s’achever. Emma Becker fait étalage d’une panoplie de vocabulaire qu’elle espère impressionnantes mais qui est –tout au plus- un peu risible. C’est sans compter avec la maladresse syntaxique. N’est pas Claude Simon qui veut. Enfin, certains passages, tout simplement faux au plan grammatical, écorchent l’âme : « Et pourtant, lorsque j’étais plongée entre ses jambes à la lécher, avec un appétit qui n’était pas si feint, je pensais à cette caresse banale sur ma jambe et j’imaginais ce qu’il aurait pu en être de nous, si j’aurais pu la faire jouir et si elle aurait su comment faire avec moi, quels endroits effleurer, quel langage inventer pour insuffler à nouveau ce frisson de vie à notre chair.» p. 88.

Bref, une lecture que je ne recommande en aucun cas, un choix d’édition de toute évidence davantage lié à la thématique abordée qu’aux qualités littéraire de l’ouvrage. Un conseil pour finir, économisez 21 euros et investissez dans n’importe quoi d’autre, cela vaudra mieux pour vous.


Pour en savoir plus :


LIHART Robert, L’établi, Editions de Minuit, 1981, 180 p.


WASSMO Herbjørg, Un verre de lait s’il-vous-plaît, Gaïa Éditions, 2014, 419 p.


Les critiques du « Masque et la Plume » sur France Inter, tantôt élogieuses, tantôt ravageuses :



Une interview de l’auteur expliquant sa démarche:



Passionnant débat sur LCP posant bien les différents arguments en faveur ou à l’encontre de la prostitution :


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