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  • camillehaddad

Mon année de repos et de détente: savoureux portrait d’un Oblomov contemporain

Dernière mise à jour : 12 déc. 2019

Deuxième roman d’Ottessa Moshfegh, jeune écrivaine américaine, iranienne par son père et croate par sa mère, Mon année de repos et de détente dresse le portrait caustique et terriblement troublant d’une génération Y en perte de repères. Quand le réel désespère, la tentation de fuir peut être grande. Le sommeil s’offre ici comme exutoire.


Objectif hibernation


Dès les premières pages du livre, le décor est posé. Nous sommes au tournant du XXe siècle et notre héroïne dispose de tous les atours objectifs de la vie idéale : un grand et bel appartement en plein New-York, une immense fortune à son entière disposition, une beauté fatale, une meilleure amie –Reva- un peu stupide mais toujours prête à l’admirer et un diplôme de Columbia.

Seulement voilà, l’envers du décor est comme souvent un peu moins reluisant. Sa mère dépressive et alcoolique, son père atteint d’un cancer meurent misérablement, lui laissant en héritage une gigantesque maison encombrée de souvenirs dévastateurs. De plus, son petit ami Trevor l’a lâchement abandonnée sans qu’il soit précisément possible d’en expliquer les raisons. Bref, la protagoniste va mal et décide de consulter une psychiatre aussi drôle que décalée, le Dr Tuttle à laquelle elle ment comme un arracheur de dents pour la persuader le lui prescrire des anxiolytiques et des somnifères sans cesse plus puissants. Un projet se dessine ainsi, dormir apparaît comme le meilleur moyen de fuir la dure réalité. La poursuite de cet état va tourner à l’obsession avec, à la clef, l’espérance d’une résurrection.



L’art de traiter d’un sujet grave à grand renfort d’humour dévastateur


Le livre traite avant tout de la dépression, laquelle est remarquablement décrite : « Je regardais beaucoup Indiana Jones. Mais j’étais toujours angoissée. Trevor, Trevor, Trevor. Je me disais que je me serais peut-être sentie mieux s’il était mort, puisque derrière chaque souvenir de lui se cachait la possibilité d’une réconciliation, et donc d’autres souffrances, d’autres affronts. Je me sentais faible. Mes nerfs étaient fragiles et en lambeaux, comme de la soie effilochée. […] Je pouvais me représenter ma personnalité, mon passé et ma psyché comme un camion-benne rempli d’ordures. » (p.109)


Pour autant, l’humour est omniprésent, le personnage le plus truculent étant probablement celui du médecin auquel aucun des griefs généralement adressés à la profession n’est épargné (arrangements avec les caisses d’assurance, prescription à haute dose de médicaments sans diagnostic fiable etc.). On lui doit ainsi quelques bons mots qui font rire et grincer des dents tout en même temps :

« -Des projets pour Noël ? a-t-elle demandé tout en renouvelant mes ordonnances. Vous allez voir la famille ? Vous venez d’où déjà ? D’Albuquerque ?

-Mes parents sont morts.

-Je suis navrée. Mais je ne suis pas surprise, a-t-elle répondu pendant qu’elle écrivait dans son dossier. Les orphelins souffrent souvent d’une immunité faible du point de vue psychiatrique. Vous pourriez envisager de prendre un animal de compagnie pour développer vos compétences relationnelles. Les perroquets, parait-il, ne jugent pas.

-J’y réfléchirai. » (p.102)


Un message d’espoir finalement pollué par un patriotisme déplacé


Après avoir finalement résolu de se droguer à l’Infermitérol pour quelques mois (un produit qui plonge notre belle endormie dans des phases de sommeil rocambolesques au cours desquelles elle passe chez le coiffeur, participe à des soirées, commande de la nourriture etc.), l’héroïne se réveille en juin, et lentement, revient à la vie.

Le sommeil est derrière elle, la dépression est terrassée.


Seulement voilà, parce que ce livre est rédigé par une Américaine qui n’a pas pu s’empêcher de revenir sur le grand drame du siècle commençant, il faut que Reva –la meilleure amie juive un peu sotte- ne meure dans les attentats du 11 septembre. Un parti pris déplacé qui n’apporte strictement rien et tombe comme un cheveu sur la soupe.

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